Du flapping chez l’enfant au burn-out chez l’adulte : manifestations méconnues du Trouble du développement des Coordinations (TDC).

Dans nos consultations, nous voyons parfois un enfant qui bat des mains lorsqu’il est stressé, comme une petite décharge motrice. Ce geste, appelé flapping, est souvent immédiatement associé aux troubles du spectre de l’autisme. Pourtant, il arrive qu’il se manifeste dans d’autres contextes, notamment chez certains enfants présentant un trouble développemental de la coordination (TDC).

Plus tard, à l’âge adulte, ces mêmes profils peuvent se retrouver dans nos cabinets avec une présentation très différente : burn-out à répétition, parcours psychiatriques marqués par des épisodes dépressifs ou anxieux, sentiment d’épuisement chronique. Derrière cette souffrance psychologique, un élément reste trop souvent invisible : un trouble du développement de la coordination non reconnu, parfois centré sur la dimension visuo-spatiale.

Or, en France, le diagnostic de TDC adulte est rarement posé en dehors des institutions de 3ème ligne (CRA) : peu de psychiatres libéraux sont formés à identifier ce trouble hors de l’enfance. Ces patients, eux, restent dans une errance diagnostique, alors même qu’une meilleure reconnaissance permettrait de comprendre leur parcours, de reconnaître leurs besoins et d’adapter leur accompagnement.

1. Le TDC chez l’enfant : au-delà du cliché de la “maladresse”

Selon le DSM-5 (American Psychiatric Association, 2013), le Trouble du Développement des Coordinations (TDC) se caractérise par des acquisitions et des coordinations motrices nettement inférieures à l’âge attendu, interférant de manière significative avec la vie quotidienne et scolaire, sans qu’une cause neurologique ou sensorielle ne puisse expliquer ces difficultés.

Les recommandations internationales de l’European Academy of Childhood Disability (Blank et al., 2019) précisent que le TDC ne se limite pas à la maladresse gestuelle : il inclut fréquemment des difficultés visuo-spatiales, de planification et d’organisation motrice, qui peuvent affecter les apprentissages scolaires, la participation sociale et l’estime de soi.

Au-delà des troubles moteurs, certains enfants présentent également des comportements moteurs particuliers, comme le flapping (battements des mains ou mouvements répétitifs). Si ce signe est souvent associé aux troubles du spectre de l’autisme (TSA), il peut aussi se manifester chez des enfants avec TDC, en particulier lors de situations de surcharge cognitive ou émotionnelle. Dans ce cas, il constitue une stratégie de régulation face à une tension interne.

Ainsi, réduire le TDC à une simple maladresse, c’est ignorer sa diversité clinique et risquer de passer à côté d’un diagnostic précoce. Reconnaître cette complexité dès l’enfance est essentiel pour orienter correctement les familles et éviter une souffrance qui, sinon, se prolonge à l’âge adulte.

2. Le TDC de l’adulte : l’invisible du parcours psychiatrique

Si le TDC est aujourd’hui mieux connu chez l’enfant, il reste largement sous-diagnostiqué à l’âge adulte. Pourtant, de nombreux adultes porteurs de ce trouble consultent en psychiatrie ou en psychologie pour d’autres motifs : burn-out à répétition, dépressions chroniques, troubles anxieux, sentiment d’épuisement permanent. Ce vécu clinique traduit souvent la surcharge adaptative liée au TDC : chaque tâche du quotidien, chaque situation d’organisation ou de planification demande un effort disproportionné, conduisant progressivement à l’épuisement. En prenant de l’âge, dès 30 ans (?), certains comportements de compensation deviennent très coûteux d’un point de vue cognitif.

Les recommandations internationales (Blank et al., 2019 ; Kirby, Sugden & Purcell, 2014) rappellent que les difficultés motrices et visuo-spatiales du TDC persistent bien au-delà de l’enfance et qu’elles impactent durablement la vie adulte, notamment la vie professionnelle, sociale et émotionnelle. Pourtant, en France, le diagnostic du TDC adulte est encore rare, et les psychiatres ne sont pas toujours formés à en reconnaître les signes.

Cette méconnaissance entraîne une errance diagnostique : les symptômes sont souvent interprétés uniquement à travers une grille dépressive ou anxieuse, et les patients se voient proposer des traitements médicamenteux ou des suivis psychiatriques qui n’apportent qu’une amélioration partielle. L’absence de reconnaissance du TDC comme trouble sous-jacent prive ces personnes d’un accompagnement adapté (bilan neuropsychologique, rééducation psychomotrice ou ergothérapique, psychoéducation).

Ainsi, le TDC adulte demeure un angle mort de la clinique. Mieux le reconnaître, c’est non seulement améliorer la qualité de vie de ces patients, mais aussi redonner du sens à des trajectoires marquées par l’incompréhension et l’échec répété.

3. Conséquences cliniques et enjeux diagnostiques

Chez l’enfant : des signes interprétés de manière réductrice

Lorsqu’un enfant présente des stéréotypies motrices comme le flapping, ou des difficultés visuo-spatiales marquées, le risque est grand que l’on oriente trop rapidement vers un diagnostic de trouble du spectre de l’autisme (TSA) ou que l’on considère simplement l’enfant comme “maladroit”. Cette interprétation restreinte contribue à retarder l’identification du TDC, et donc la mise en place d’aménagements scolaires adaptés (psychomotricité, ergothérapie, outils pédagogiques spécifiques). À long terme, ces enfants développent fréquemment une baisse d’estime de soi et un sentiment d’échec scolaire qui peut persister à l’âge adulte (Missiuna, Cairney & Pollock, 2014).

Chez l’adulte : des parcours psychiatriques marqués par l’errance

Chez les adultes, l’absence de diagnostic conduit à des parcours de soins fragmentés : consultations répétées en psychiatrie, prescriptions médicamenteuses multiples, suivis psychothérapeutiques centrés uniquement sur la dépression ou l’anxiété. Or, la racine de l’épuisement reste souvent ignorée : une difficulté persistante dans la coordination et la gestion visuo-spatiale des tâches quotidiennes. Le patient se vit alors comme “bon à rien”, incapable de tenir dans le temps malgré ses efforts, ce qui alimente le cercle vicieux de la souffrance psychologique.

Un enjeu de santé publique

Ne pas diagnostiquer le TDC adulte, c’est priver ces personnes d’une compréhension claire de leurs difficultés et des aides adaptées. L’impact dépasse la clinique individuelle : absentéisme professionnel, reconversions forcées, isolement social. La méconnaissance du TDC dans le champ psychiatrique et médical contribue à un coût humain et économique important, encore peu documenté mais bien réel.

Reconnaître les signes du TDC à chaque âge, et former les professionnels à les identifier, représente donc un enjeu majeur pour réduire l’errance diagnostique et proposer des prises en charge plus efficaces.

Conclusion

Le trouble du développement des coordinations ne disparaît pas en grandissant : il se transforme, se masque parfois derrière d’autres diagnostics et continue d’impacter profondément la vie des personnes concernées. 

Reconnaître le TDC à tous les âges de la vie, c’est donner aux patients la possibilité de comprendre leurs difficultés, de retrouver confiance et de bénéficier d’un accompagnement adapté. 

 

Diana MARRUECOS

le 01.10.2025